Au milieu du mois de septembre dernier, ma collègue, Nadine Sieveking, m’écrit d’Accra, Legon. Quelques jours plus tard, nous venions de convenir d’une expérience à tenter. Elle prendra le vague nom de : projet collaboratif de recherche. En quelques sortes, dans « collaboratif » nous n’entendions rien qui soit autre chose qu’une distance totale avec ce qui se fait habituellement sous le couvert malicieux du terme : la reconduction des relations inégales entre les espaces de recherche du nord et ceux de nos pays. Dans celles-ci, l’argent et l’agenda sont solidairement attachés d’un bord, et le reste est plus une affaire d’enrôlement qu’autre chose. De quoi était-il ici question, qui soit vraiment autre chose que ce qui se fait, si habituellement ? Pour répondre à la question, un détour par les longs mois qui ont précédé notre conversation de septembre, s’impose.
Courant mois de juillet 2021, alors que, sous son invitation, nous étions engagés ensemble, à Göttingen, à réfléchir à comment engager de la meilleure manière possible une session spéciale dédiée au Sénégal, dans le cadre de la conférence finale du programme, « Private Pieties. Mundane Islam and New Forms of Muslims Religiosity: Impact on Contemporary Social and Political Dynamics », sous la direction de Roman Lomeier, une conversation qui s’est voulue amicale et sans concession s’est nouée entre nous deux. Au cœur de ces longues heures de discussion était la question centrale de la réforme des relations de coopération entre chercheurs du nord et chercheurs du sud, du problème de l’extraversion de la recherche africaine, de la nécessité pour les chercheurs d’être en avance sur les institutions. Cette avance nous semblait être non seulement le seul critère possible de décolonisation des pratiques de recherche sur l’Afrique depuis les espaces qui sont privilégiés dans cette recherche, mais aussi être un début de réparation de ces héritages qui ne sont pas cultivables.
Cette conversation s’est élargie à notre collègue, Irene Brunotti, de l’institut d’étude africaine de Leipzig. Surtout, elle a conduit à un séminaire de partage dans lequel, j’ai été invité à discuter de ces questions, sous le titre : ,, What African university has to discuss regarding the ,,decolonial turn” of African Studies in western academia’’.
Un des arguments de fond, bien reçu par l’audience, était inspiré, essentiellement, par le travail de Moten et Harney, dans The Undercommons (2013). Pourrions-nous vraiment décoloniser la relation et la recherche sur l’Afrique sans esprit et sans pratiques de marronage, sans vocation à la désinstitutionalisation ? En cela l’idée était de voir comment contourner le tout institutionnel et comment arranger davantage de ponts entre les tentatives de troisièmes lieux comme le GAEC-Africa et les chercheurs qui souhaitent réinventer la relation.
Un air de rendez-vous flottait donc dans l’air. Ce que la conversation de septembre apportait, c’était l’opportunité de reprendre le fil de la discussion, mais cette fois dans la praxis. Sans aucune perte de temps, nous avons rapidement convenu de ce que nous avions à faire : mettre ensemble de jeunes étudiants et chercheurs, élaborer avec eux les orientations de la recherche, les accueillir en tant qu’auteurs, et pas seulement informateurs, attirer leurs attentions sur les héritages complexes qui accompagnent le vocabulaire et les hiérarchisations qui organisent les méthodologies appliquées dont ils sont le véhicule entre les « Sciences sociales » et leurs communautés. Pour nous donc le challenge n’était rien de moins que ça.
Les textes des étudiants et leurs témoignages ici, sont les semences, les seules légitimes. Cependant, j’ai le sentiment, le long des heures de séminaires passées ensemble, le long des allers et retours sur les terrains, le long des textes lus et relus… que déjà quelque chose a été secoué. C’est ce qui me rend à la fois content et confiant dans ce qui vient.
Et, pour ça il faut payer hommage à ces jeunes chercheurs et auteurs : Assane Kébé, Oumoul Khaïry Dramé, Mouhamadou Mansour Ndongue, Ousmane Lô qui, de Koki à Saint-Louis en passant par Kaolack, ont su faire conversation, dès le tout premier séminaire, avec notre collègue Nadine Siveiking, autour de cette question qui nous touchait autant qu’elle la préoccupait : que pouvons-nous apprendre, à hauteur de nos communautés, sur le thème déjà des sociabilités ainsi des religiosités.
Un mot pour clore ? Alors il sera un merci rempli d’amitié à Nadine, pour cette autant belle que prometteuse expérience, au MIASA pour sa confiance pour notre troisième-lieu., ainsi qu’à notre jeune collègue Bruno Diomaye Faye qui a accompagné le processus de recherche et de valorisation du séminaire.
Dr Abdourahmane Seck est un anthropologue et un historien basé à la Faculté des Civilisations, des Religions, des Arts et de la Communication de l'Université Gaston Berger de Saint-Louis, où il enseigne au Centre d'étude des religions. Il est co-fondateur du Groupe d’Action et d’Étude Critique Africa-Africa.